ruban rouge (VIH) entre les mains
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VIH : j’ai enterré mes parents

Mon père s’est suicidé quand il a appris qu’il était séropositif. Au Kenya, en 1997, on considérait encore le VIH comme une condamnation à mort. Il a décidé d’accélérer les choses.

J’avais alors sept ans. Personne ne s’est donc tracassé·e pour m’expliquer ce qui l’a poussé à mettre fin à ses jours. Et franchement, ça aurait été très difficile : quand j’ai entendu qu’il avait fait une overdose, j’ai cru qu’il était mort dans son sommeil. En anglais, j’avais compris « over-doze », c’est-à-dire dormir plus qu’il ne faut ! C’était logique dans ma petite tête.  

Une enfant prise en pitié 

Je me suis alors retrouvée là, à tenter de vivre malgré un tel bouleversement. Quand tu as perdu un parent, on te met dans une case spéciale : celle de l’enfant qu’on prend en pitié.  

Je ne vais pas mentir, j’étais ravie de recevoir de l’attention. Les adultes me regardaient avec des yeux tristes et m’achetaient des choses diverses. Ça m’a beaucoup aidé à moins souffrir.  

Ma mère faible et malade 

Tout ça jusqu’à ce que ma mère « décide » de suivre mon père six mois plus tard. Enfin, j’emploie ce mot, mais elle n’a décidé de rien. Car elle ne s’est pas suicidée. Non, elle est partie lentement, dans la douleur. Elle se rapprochait un peu plus de la mort chaque jour. Elle était aussi séropositive au VIH.  

On avait à peine enterré mon père quand ça a commencé pour elle. J’avais encore sept ans, le cap des huit ans est passé quelque part dans cette période.   

 « Maman, je suis en train de mourir » 

J’ai gardé un souvenir vivace de cette journée. J’étais assise sur le canapé dans notre salon, et ma grand-mère aidait ma mère à se lever de sa chaise. Elle essayait d’aller aux toilettes, mais elle était devenue si maigre et si faible que ses jambes ne la tenaient plus debout.  

Elle a tenté de se lever, mais elle est retombée sur sa chaise.  

 « Je suis en train de mourir » a-t-elle dit.  

 « Mais non, mais non. Jess, dis-lui qu’elle va mieux. Dieu est en train de te guérir. » Ma grand-mère m’a regardée. Elle souriait et hochait de la tête. Elle m’implorait pour que j’approuve ses paroles.  

J’ai souri en retour et n’ai rien dit. Je n’allais pas mentir à ma mère, ma meilleure amie. Elle avait raison. Même moi, je le comprenais.  

Elle était en train de mourir. Je n’arrivais absolument pas à comprendre comment on en était arrivé là. Elle avait toujours été en bonne santé. Puis Papa est décédé. Là, elle a perdu beaucoup de poids, très vite. Ses cheveux tombaient et sa peau, si douce auparavant, prenait une apparence bizarre. Du pus suintait d’une plaie sur sa poitrine : il fallait la nettoyer tous les jours. Cette maudite lésion ne guérissait pas, et je pense que c’est elle qui a tué ma pauvre mère.  

Quelques jours après sa déclaration que ma grand-mère ne voulait pas entendre, ma mère est entrée à l’hôpital. Elle en est ressortie dans une housse mortuaire.  

J’ai enterré ma mère deux semaines plus tard. 

Terrifiée par le VIH 

J’avais 14 ans quand j’ai finalement su pourquoi mes parents étaient morts. Six ans après leur décès.  
Mon histoire n’est pas exceptionnelle, mais ses conséquences sur moi ne sont pas moindres pour cette raison.   

J’ai une peur bleue des relations sexuelles et de l’intimité.  

Le mariage? Jamais, au grand jamais. Je suis terrifiée par l’idée qu’une ou un partenaire infidèle peut introduire une maladie mortelle dans l’union amoureuse.  

Je fais des tests de dépistage du VIH plusieurs fois par an, de manière obsessive. Même quand je n’ai eu que des rapports protégés.  
Un accident de préservatif ? Me voilà en pleine panique, en proie à des pensées noires : je me vois mourir, maigre, faible et rejetée.  
Oui, je sais, on est en 2017. La médecine a connu de grandes avancées, et on peut vivre longtemps même en étant séropositive ou séropositif.  

Malgré tout, j’en suis là. Toujours hantée par le souvenir d’avoir enterré mes parents. J’espère seulement qu’un jour, je pourrai vivre libérée de ce poids.  

Tu as des questions sur le VIH et le sida ? N’hésite pas à contacter l’équipe de modération sur Facebook.  

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